Voici probablement le dernier numéro avant la déconnexion estivale. Ce mois-ci on parle de tri, de suppression et de ménage.
🧹 Ménage
“Il faut nettoyer ses e-mails”. Une phrase très souvent entendue quand on demande aux gens des actions de sobriété numérique. Une action simple, réalisée par 70% des internautes français selon l’Arcep, mais pourtant, à l’impact très contesté comparé 1) au volume relatif de données en jeu, 2) aux autres actions possibles pour alléger l’empreinte du numérique, comme de faire durer ses appareils, 3) aux autres actions de la vie quotidienne comme de privilégier des repas moins carnés. Si bien que nettoyer ses mails est peu à peu devenu l’équivalent du “pipi sous la douche” numérique.
Pour autant, ne jetons pas le bébé avec l’eau du data center. L’augmentation constante de contenus entassés (photos, vidéos…) mènent peu à peu à des stockages saturés, au ralentissement et in fine participent du renouvellement de nos appareils et à l’augmentation des capacités des infrastructures. La question du tri et du ménage a beaucoup à voir avec notre rapport aux données et aux services que nous utilisons. Dépoussiérons le sujet.
Le ménage numérique englobe un large spectre de pratiques : gestion de fichiers, de comptes et de données, du tri, du déplacement, et bien sûr de la suppression. Ces différentes activités sont facilitées ou contraintes par nos interfaces, et notre compréhension de ce qu’est un fichier ou une donnée. Bien que nous produisions et téléchargions une quantité toujours plus importante de données, leur organisation sur ordinateur n’a pas beaucoup évolué, voir s’est opacifiée avec le temps.
Si sur un ordinateur le “désordre” se remarque, les smartphones sont bien plus opaques dans la visibilité de ce qui occupe l’espace de stockage local de l’appareil, ou de ce qui est distribué sur des serveurs distant. Ceci pose la question du rôle du design, mais aussi celle du modèle économique des entreprises qui ont souvent tout intérêt à pousser les utilisateurs à accumuler des données, dans des stockages sans réelles délimitations pour leurs usagers comme nous le montrions dans notre analyse des formes du stockage numérique. Ces données et traces au volume impossible à estimer sont éparpillées sur des plateformes dont on n’a parfois ni le souvenir, ni l’accès. Si des logiciels facilitant le nettoyage des fichiers existent, leurs fonctionnalités restent peu appropriées pour un ménage approfondi.
Il existe tout un espace à (ré)investir par le design pour accompagner ces pratiques. D’autant que pour beaucoup, la nature binaire de la suppression des données est bloquante et les chercheurs recommandent de développer des manières intermédiaires de permettre le ménage (détérioration progressive de la qualité d’un contenu, déplacement automatique etc). Dans cet article sur les différentes tendances dans la préservation des données, Vitale et ses collègues se sont demandé comment les personnes décident des données qu’elles gardent ou jettent. Leurs entretiens ont montré que les pratiques de préservation des contenus numériques sont très liées à la valeur qu’on leur accorde, impliquant un design d’outils qui tienne compte des attachements irrationnels à certains fichiers parfois lourds, jamais utilisés ou mal rangés.
Quelques initiatives intéressantes sur le sujet :
Le chercheur et designer William Odom travaille sur d’autres modalités d’attachements aux contenus numériques, comme Timecard, qui permet à une famille de sélectionner des photos ayant une valeur particulière et de mettre en commun ces souvenirs sur une nouvelle machine qui a vocation à être léguée et enrichie de génération en génération.
Supprimer ses photos comme on matcherait sur Tinder.
La suppression automatique de post sur le réseau Mastodon ou la Date Limite de Disponibilité des post de Dalkia sur X.
Le site web thiswebsitewillselfdestruct.com s’autodétruit s’il n’est plus consulté (oui du coup il n’existe plus…).
Dans divers workshops que nous menons auprès d’étudiant·es, il revient souvent l’idée d’effectuer ce travail de ménage non pas à posteriori de l’enregistrement d’un fichier mais au moment de sa création. Par exemple de choisir la péremption d’une photo au moment de sa prise et d’un simple geste.
Actu du projet Limites Numériques
On est reparti pour 2 ans grâce à un financement de l’ANR 🎉. Dans ce cadre l’association Designers Éthiques, reconnue pour ses évènements et actions de sensibilisation autour du design responsable, rejoint notre consortium. Cette collaboration est l’occasion d’enrichir nos travaux et leur portée auprès des professionnel·les du design.
📅 Nous serons à Villeurbanne le 25 juillet pour un atelier de réappropriation de ses paramètres mobiles et à Paris Web le 27 septembre pour une conférence sur un alter design d'un numérique plus écologique.
Régulation
L’UE a adopté un texte sur le droit à la réparation qui introduit, entre autres, la prolongation de la garantie de 12 mois si l’on choisit la réparation plutôt que le remplacement ou encore la mise à disposition d’informations de réparation par les fabricants.
Sans limites 🙃
Un service d’envoi de cartes écrites “à la main” mais par des robots (merci Commown pour le partage)
Les caissiers d’un restaurant New-Yorkais délocalisés dans des pays moins chers et font leur travail… en visio.
Si vous avez eu la chance d’être à l’un des concerts de Taylor Swift, vous avez dû recevoir un bracelet émettant de la lumière de manière synchronisée. Sauf que les bracelets ne sont pas récupérés et que, rien qu’en France la tournée a compté 300 000 personnes… D’ailleurs la chaîne Deus Ex Silicium l’avait déjà décortiqué. Merci Anna de nous en avoir ramené un 😊.
A-t-on besoin d’une corde à sauter connectée ? Euh non, non merci.
Spotify, qui avait lancé un petit appareil avec écran pour écouter sa musique en voiture, a décidé d’arrêter le service. L’entreprise aurait pu fournir une dernière mise à jour pour libérer l’appareil et pouvoir l’utiliser en Bluetooth, mais en a décidé autrement : ça sera reset puis poubelle !
Apple broie des dizaines de milliers de produits en état de fonctionnement. Son sous-traitant responsable de la fin de vie des appareils, a même procédé à un vol massif des rebuts pour éviter qu’il ne finissent en petits copeaux. “Apple ne peut pas vendre un tout nouveau téléphone à 1 000 dollars s’il y a encore sur le marché des téléphones vieux de deux ans. Plus ils se débarrassent de téléphones, plus ils peuvent en vendre”.
Et pendant ce temps vous pouvez visiter la page environnement d’Apple dont chaque phrase pourrait faire l’objet d’un cours sur le greenwashing.
En vrac
Le compère Gauthier Roussilhe a animé pour le Mouton Numérique et avec notre Thomas une balade urbaine des infrastructures numériques en prenant comme point de départ une box Internet. L’occasion de parler matérialité et empreinte du réseau télécom.
Une vidéo plutôt pédagogique sur le lithium en partant de l’extraction jusqu’au recyclage, dans le cadre du projet de futur mine dans l’Allier et du débat public mis en place.
L’ami Clément Marquet au micro de Xavier de La Porte sur France Inter pour parler de la complexité écologique des câbles sous marins.
Une campagne de pub des cartes IGN prend le contrepied des applis de randonnée sur smartphone.
Une nouvelle étude de l’Arcep sur l’empreinte du numérique en France. Quelques données intéressantes :
Concernant les réseaux, les opérateurs télécom ont augmenté leur empreinte carbone de 2% par an. L’Arcep rappelle également que la consommation énergétique des réseaux fixes et des box dépend peu du trafic de données, contrairement à celle des réseaux mobiles. D’ailleurs près de 95% de la consommation électrique d’une box internet est indépendante de l’intensité de sa sollicitation. Leur consommation totale (box + décodeur TV) représente 0,7% de la consommation électrique en France.
Concernant les datacenters, en 1 an leur empreinte Co2 a augmenté de 14% et leur consommation d’eau de 20%. 80% de cette augmentation est à attribuer à la mise en service de nouveaux centres en 2021 et 2022.
Concernant les terminaux on constate une baisse d’équipements vendus mais aussi une autre tendance, celle de l’augmentation de la taille des écrans.
Anecdotes
L’écran fissuré de Juliette l’empêche d’accéder à certaines lettres. Mais ça lui plait, la forçant à chercher d’autres manières de dire ce qu’elle veut dire. Et au final c’est aussi “la meilleure technique pour réduire mon usage, mieux que de mettre mon écran en noir et blanc”
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