Dans ce numéro, on explore les croisements entre numérique, écologie et féminisme.
💪 Écoféminisme et numérique
La quête d’un numérique qui tienne compte des limites planétaires croise bien sûr d’autres enjeux sociaux. C’est notamment le cas des mouvements écoféministes qui mettent en lumière les liens entre différents rapports de domination, de discrimination et d’oppression (des femmes par les hommes, mais aussi des pays colonisés par les pays colonisateurs, du vivant par les humains…) et nous aident à penser un numérique plus soucieux du vivant et des personnes.
Il suffit de se pencher sur les dirigeants des principales entreprises de la tech pour se rendre compte d’une prédominance écrasante “d’hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, capitalistes et capacitistes” nous dit cette cartographie ou décrits par Emily Chang comme le “Boys’ Club” de la Silicon Valley dans son livre Brotopia. Kelly Wagman parle dans sa thèse [EN] du règne d’une idéologie californienne “hantée par l’obsession d’une technologie qui est efficace et qui croît”.
Cette manière d’envisager le numérique n’est possible que par l’extraction croissante de ressources et de données, mais aussi par l’exploitation violente de populations comme le dénonce Génération Lumière. L’association milite en effet pour avertir sur les effets de l’exploitation du cobalt (utilisé notamment dans les batteries) en République démocratique du Congo : de nombreux conflits armés depuis des décennies mènent aux meurtres et viols des populations, et en particulier des femmes et des filles [EN].
Les alternatives numériques développées au sein de ces mouvements remettent au centre des préoccupations le soin envers soi, envers les autres et envers le vivant en intégrant dès la conception les personnes habituellement sous-représentées. Comme ce que propose l’Association for Progressive Communication dans ses principes féministes d’Internet. Mais aussi :
Les hackerspaces trans-féministes tels que le FluidSpace à Marseille, ou encore les festivals féministes de savoir-faire techniques comme la Tenaille sont pensés comme des safer spaces (espaces protégés de certaines oppressions), et font émerger des pratiques collaboratives de réappropriation des techniques, empruntées à l’informatique libre et au hacking. La recherche d’alternatives ou le partage de savoir-faire numériques écologiques (de l’infrastructure jusqu’au logiciel) y est fréquente. On peut citer cet évènement en octobre pour concevoir des jeux vidéo, inspiré du permacomputing.
Le réseau local Brésilien Nodes that Bond [EN] est né dans une communauté rurale de femmes pour réfléchir aux besoins numériques pendant la pandémie de Covid. Depuis, il est devenu un espace de savoir collectif pour parler, entre autres, des effets écologiques du numérique.
En Catalogne, dans la colonie post-capitaliste éco-industrielle et auto-gérée de Calafou, on y construit Anarchaserver : un serveur local, se distinguant des serveurs des grandes compagnies par une approche techno-féministe menant à des choix techniques sobres. Le serveur sépare par exemple données vivantes (accessibles tout le temps) des données transitionnelles (accessibles qu’un temps), ou encore des données mortes d’archivage (moins disponibles). Le manifeste des serveurs féministes propose même certains principes : être parfois inaccessibles pour “interrompre la continuité de la servitude” client / serveur (termes utilisés couramment dans le langage informatique) ; croître ou décroître lorsque les conditions le demandent ; essayer d’être autonome pour réduire les dépendances. Beaucoup de ces principes résonnent comme des pistes possibles d’un numérique plus écologique.
Les ateliers du projet Feminist UX of AI ont mené à la conception d'interfaces spéculatives pour comprendre et contrôler les algorithmes qu’on utilise [EN], en prenant en compte des enjeux écologiques et les manières dont l'IA reproduit des rapports oppressifs.
Actus du projet Limites Numériques
Nous en parlerons plus en détails prochainement, mais nous réalisons un gros travail de panorama des leviers pour réduire l’empreinte du numérique accompagnés de plusieurs centaines d’inspirations. Nous avons commencé à en parler dans quelques conférences notamment aux UXDays en juin dont voici le replay.
Thomas, accompagné de l’urbaniste Cécile Diguet, a organisé à Chambéry pour Numérique en Commun[s] une balade urbaine des infrastructures numériques. Quelques photos par ici et notamment quelques datavisualisations urbaines à la craie sur l’empreinte du secteur.
On propose un appel à communication sur la thématique Représentations (non)écologiques du numérique pour une journée d’étude qui se déroulera en avril.
Depuis quelques temps et à des fins de recherche, nous animons des ateliers de partage de tips et bonnes pratiques pour réduire les impacts de ses usages numériques d’un point de vue usager. Nous commençons à les compiler sur cette page. Un atelier est prévu à Lyon, le 29 octobre, et un à Paris le 20 novembre. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’infos.
Le 14 et 15 novembre se déroule à Nantes et en streaming l’évènement Ethics By Design. La 1ère journée sera consacrée aux sujets du numérique et de l'environnement. On y sera !
Sans limites 🙃
Air France annonce du Wifi très haut débit dans ses avions en 2025 grâce à Starlink. L’occasion de vous partager cette donnée sur l’explosion de satellites en orbite et leurs multiples effets environnementaux.
Une aide publique pour les transports conditionnée à l’installation d’une app.
Les datacenters menacés d’obsolescence à cause de l’essor de l’IA.
Et dans les appareils électroniques dont on aurait pu se passer : celui-ci détecte l’humeur de l'open-space et diffuse des vidéos drôles si l’ambiance est trop morose. Et ce réveil de Nintendo capte vos mouvements pour contrôler le son de l’alarme.
En vrac
Un site ultra léger développé par une seule personne pour acheter ses billets de train.
L’expérience d’une connectivité (très) lente et intermittente d’une station de recherche dans l’Antarctique dépendante du passage du satellite à certaines heures. L’article pointe que beaucoup d’applications, si elles n’ont pas réussi à télécharger toutes leurs infos en un certain temps ou nombre d’essais, finissent par abandonner toute progression de chargement, s’arrêter ou rediriger vers une page d’erreur. Les développeurs de ces applis ayant décidé que si l'application ne se chargeait pas dans les limites arbitrairement définies, il ne serait pas possible de l'utiliser du tout. Par cet exemple, l’auteur nous montre comment des applications conçues dans des pays ou des villes développées technologiquement, peuvent poser des problèmes majeurs dans des endroits où l’internet est lent. Bien sûr, tout le monde ne vit pas en Antarctique, mais il rappelle qu’en fait sa connexion n’était pas si mal comparée à plein de territoires, personnes et contextes dans le monde.
Le 8, 9 et 10 novembre le collectif le Nuage était sous nos pieds organise 3 jours de tables rondes, ateliers et conférence pour mettre en débat l’implantation et l’empreinte des data centers à Marseille.
Un logiciel 3D sur un vieux Nokia.
L’Arcep et l’Arcom ont sorti une nouvelle étude, cette fois sur l’impact des usages audiovisuels. Quelques extraits :
Ces usages représentent 3% de la consommation électrique Française et un tiers de l’empreinte carbone numérique en France.
Rien de nouveau mais les terminaux, en particulier les téléviseurs, prennent une part importante des impacts (entre 72% et 90% selon les indicateurs)
La publicité peut augmenter jusqu’à 25 % l’impact carbone du visionnage de contenus vidéo. (ps : on le redit jamais assez mais uBlock ou encore NewPipe sont très utiles.)
Sans action, l’empreinte de ces usages pourrait augmenter de 30% d’ici 2030.
Ken Pillonel vient de sortir une coque pour transformer la connectique lightning de tous les Airpods pour une connectique universelle USB-C. Pour rappel, il s’était fait déjà connaître, alors étudiant, en démontant l’argumentaire anti USB-C d’Apple.
Anecdotes
Neil ne possède pas de téléphone depuis 5 ans. Pour certains usages où le smartphone est désormais un passage obligatoire, il utilise un modem 4g (ce truc ci-dessous dans lequel est insérée sa carte sim). Branché sur n’importe quel ordinateur il peut ainsi passer des coups de fils, recevoir des sms ou effectuer certains opérations. Il raconte tous ses déboires par ici.
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