Bonjour tout le monde ! Pour ce numéro on parle fin de vie de nos appareils numériques. Bonne lecture et merci pour vos supers retours !
🗑️ Fin de vie & déchets
En novembre, nous visitions le centre de traitement de déchets électroniques Loxy qui a eu la gentillesse de nous ouvrir ses portes et nous plonger dans les enjeux concrets du démantèlement et du reconditionnement des rebuts numériques. Extraits de nos notes rédigées ici :
La croissance rapide de déchets électroniques ces dernières années (+21% dans le monde en 5 ans) a un impact direct sur la croissance de l'entreprise : elle a dû augmenter son personnel de 12% en seulement un mois pour pouvoir traiter les 15 tonnes d’équipements délivrés chaque jour sur le site. Selon elle, la faute à une durée de vie plus courte de nos appareils et une électronisation croissante et souvent inutile de nos objets, comme les dizaines de milliers de cigarettes électroniques à usage unique, contenant chacune une pile au lithium, et remplissant leurs bennes.
Il est difficile de parler de “déchets” dans la mesure où les équipements sont souvent en état de marche voire parfois neufs. S’il y a un marché prêt à acheter l’objet, il est alors remis en circulation. Sinon il part au broyage, car trop “obsolète” ou pas assez rentable. C’est donc le marché qui dicte le réemploi ou le broyage d’équipements fonctionnels.
Le démantèlement est un enjeu important. Ce sont les personnes les plus bricoleuses de l’équipe qui s’y collent (il n’y a pas de cellule R&D dédiée). Elles usent principalement de moyens artisanaux et de tests empiriques pour tenter de démonter par exemple les étiquettes électroniques des magasins : celles-ci sont jetées quand les piles en lithium (non rechargeables) tombent à plat. L’équipe cherche à en séparer le plastique avant d’envoyer les piles (qui risquent l’explosion) à des sociétés spécialisées pour enfouissement. On ne sait pas bien quoi faire de ces piles aujourd’hui, car leur collecte et recyclage reste complexe et les filières de recyclage souvent débordées.
Sur les plusieurs dizaines de métaux contenus dans les composants électroniques, seuls 4 sont récupérés dans des laboratoires spécialisés : l’or, l’argent, le cuivre et le palladium.
La gestion des déchets ne suscite pas le même intérêt que “l’innovation” et reste assez opaque. Au début des années 2010, Dietmar Offenhuber alors au MIT Senseable City Lab, proposait de développer le champ des “waste forensics" pour comprendre ce que devenait nos déchets. Dans le cadre du projet Trash|Talk, les chercheurs ont demandé à des milliers d’habitants de Seattle d’insérer des trackers GPS dans leurs déchets (vieilles chaussures, toner d’imprimante, télé, etc.). Ceci pour ensuite suivre le parcours de ces déchets aux États-Unis et dans le monde. Cette stratégie permet de découvrir la dimension informelle du traitement des déchets, mais aussi le caractère global et les milliers de km parcourus par ces objets en fin de vie.
Si cette approche est attrayante, le géographe Josh Lepawsky, spécialiste des discards studies, la questionne (on peut traduire discard par rebut, pas forcément un déchet mais quelque chose dont on ne veut plus). Il a étudié les controverses sur les déchets électroniques entre 2010 et 2015 dans le cadre d’amendements DEEE à la convention de Bâle (voir sa carto des controverses). Son travail montre la difficulté à décider ce qui fait déchet. Dans deux articles il invite à aller au delà des photos chocs de montagnes de déchets électroniques en Afrique, qui ne représenteraient pas fidèlement les flux mondiaux (enterrer une tonne de déchets en Californie coûterait 4x moins cher que de la mettre sur un porte-conteneur). Il rappelle que le volume des déchets industriels de fabrication est bien plus important que celui des déchets électroniques ménagers, et qu’il s’agit d’attaquer ce chantier en priorité.
🏭→🗑️🗑️🗑️🗑️🗑️ vs. 🏡→🗑️ Comparaison sur le territoire européen de l’échelle des déchets générés par la fabrication de produits électroniques vs. les déchets électroniques ménagers en 2016 (18,7 vs 3,8 millions de tonnes).
Seconde vie
Et si le cloud était fait de vieux smartphones ? Jennifer Switzer de l’université de San Diego travaille sur le “Junkyard Computing”, et montre comment de “vieux” smartphones pourraient être mis à profit pour construire des fermes de serveurs, avec des coûts 40x inférieurs (calcul théorique) à ceux d’Amazon S3, avec l’avantage de pouvoir utiliser les batteries pour charger les téléphones quand l’énergie est la moins carbonée.
Un ordinateur portable triple écran réalisé à partir d’anciennes tablettes et d’une carte mère de l’ordinateur réparable Frame.work.
Actus du projet Limites Numériques
Nous présentons un article sur l'expérience quotidienne des limites à la connectivité à la conférence francophone d’Interaction Humain Machine (IHM’23) à Troyes début avril. Louis Vinet a mené une série d’entretiens auprès d’étudiant.e.s sur leur expérience des problèmes de connectivité, notamment en résidence universitaire. On y montre la difficulté à négocier et limiter les usages individuellement et différentes formes de pression à la connexion, mais aussi les moments de saturation et le désir d’établir certaines limites.
Il y a quelques mois nous organisions des ateliers sur l’empreinte du numérique à la Gaîté Lyrique auprès de jeunes collégien·nes. Nous avons documenté le protocole de l’un de ces ateliers imaginé par la designer Lou Vettier, qui aide à représenter physiquement le poids de différents contenus et usages du numérique. À utiliser sans modération.
Sans limites 🙃
Décryptage du sextoy électronique à usage unique de Womanizer. On y apprend que le constructeur aurait même pris ses précautions pour s’assurer que l’objet reste éteint même si vous parvenez à en changer la pile.
Des tas de Macbook jetés mais parfaitement fonctionnels vont à la poubelle à cause d’une fonction de verrouillage qui lie l’appareil à un compte d’un utilisateur Apple et le rend inutilisable même quand les données ont été effacées.
Suite à une panne logicielle et à la disparition d’un fournisseur, une école du Massachusetts n’arrive pas à éteindre ses lumières depuis plus d’un an.
En vrac
De la difficulté de comparer l’impact carbone de produits : oui 20 steaks hachés ont le même impact eco2 qu’un smartphone mais surtout parce qu’ils n’ont rien à voir en terme de catégorie d’impacts.
Alors que le marché des smartphones connaît des chutes records, Fairphone marche à contre courant et lève 49 millions d’euros.
Un site pour savoir combien de temps dure un objet et où est ce qu’il casse ou s’use en général, grâce aux retours de la communauté sur une page reddit.
Alors que le poids moyen des images sur une page web était ≈ 1mo en 2022, le Small File Photo Festival encourage et récompense les photos de petites tailles. Vous pouvez jeter un œil à l’exposition en ligne.
À Berlin avait lieu l’atelier Toward a Minor Tech dans le cadre du festival Transmediale. Des artistes et chercheurs ont discuté des problèmes d’échelle liés au numérique, en évoquant les potentialités et les limites d’un numérique qui opère à l’échelle humaine.
Un article [en] sur le phénomène des vidéos tutos chinoises pour apprendre à récupérer l’or des composants électroniques (ne faites pas ça !).
Si vous avez un smartphone Galaxy, vous pouvez probablement en faire un ordinateur de bureau en le branchant simplement à un écran grâce à la fonctionnalité SamsungDex. Vos applications s’affichent alors en mode bureau et l’écran de votre téléphone devient pavé tactile (Déjà testé ici, pratique quand on a oublié son chargeur d’ordi…). Un usage qui pourrait, s’il était poussé, être une piste intéressante de réduction du nombre d’appareils numériques. Certaines entreprises proposent même des stations d'accueil pour pouvoir y connecter une multitude de dispositifs. D’autres vont plus loin et imaginent que le smartphone remplace la carte mère d’un ordinateur portable pour augmenter l’expérience de jeu vidéo.
L’ARCEP et l’ADEME ont publié le 3ème volet de l’étude sur l’empreinte du numérique en France, mais on vous en parle le mois prochain.
Et pour clôturer cette thématique un petit rap québécois sur le recyclage.
Le post a été modifié suite à une remarque d'Olivier Ridoux:
> La phrase « les controverses sur les déchets électroniques entre 2010 et 2015 qui ont mené à la convention de Bâle » laisse penser que la convention de Bâle date d’après 2015, alors qu’elle date des années 1980. Par contre, cette convention a un comité de suivi qui tâche au fil des ans de maintenir un suivi et des adaptations de la convention. C’est peut-être de cela dont il est question ici.
En effet c'est une erreur de notre part, nous parlions des discussions du comité de suivi. Ces discussions ont démarré en 2002 et un comité travaille toujours sur le sujet.
Voir ici : http://www.basel.int/Implementation/Ewaste/Overview/tabid/4063/Default.aspx
Nous avons corrigé le post en fonction.