Bonjour tout le monde ! Ce mois-ci parlons dark patterns, usage forcé et manipulation. Le tout saupoudré d’un peu de magie ✨.
🪠 Forcing et intensité d’usage
En février, à l’occasion du Sommet International pour l’IA, nous avons publié notre enquête : Comment les entreprises de la tech nous forcent à utiliser l’IA. Ce travail témoigne des conséquences évidentes entre des choix d’interface, à priori anodins, et l’intensification des usages liés aux IA.
Une augmentation qui amène alors à l’accélération directe et indirecte des impacts dont nous parlions dans un autre numéro, ainsi qu’au dépassement de 6 des 9 limites planétaires (bien résumé en anglais dans cette courte vidéo).
Que vous le vouliez ou non, les entreprises de la tech mènent une stratégie agressive pour faire de l’IA la norme. Les enjeux financiers sont tels que jamais une fonctionnalité n’aura autant été poussée en si peu de temps, spatialement, graphiquement, interactivement et de manière autant répétée dans nos sites web, services et logiciels. Une mise en avant probablement inédite dans l’histoire des interfaces, symbole d’une technologie aux investissements massifs qu’il faut rentabiliser à tout prix. Voici donc quelques extraits de notre étude :
Les fonctions d’IA ont tendance à occuper beaucoup d’espace dans les interfaces et prennent la place la plus précieuse. Sur Snapchat ou Google, l’IA s’intègre comme une simple conversation. Sur Google Keep elle prend même le bouton le plus important. Une même fonction est même répétée à plusieurs endroits de l’interface comme sur Adobe Reader.
La mise en avant de l’IA passe aussi graphiquement à l’aide d’une couleur spécifique ou d’une animation, alors que les autres fonctionnalités restent statiques et en noir et blanc.
Vous n’êtes parfois qu’à un clic d’utiliser l’IA, y compris par erreur. Dans Notion, il suffit d’appuyer sur la barre d’espace pour la déclencher, alors que tout autre commande exige d’appuyer sur des touches moins fréquentes.
L’IA est très souvent présentée comme merveilleuse et magique. L’icône "✨" fait habituellement référence à quelque chose de spécial, de nouveau et caractérise l’émerveillement, tandis que les icônes des autres fonctions illustrent plutôt ce qu’elles font (⚙️🗑️📅📎...). Sans oublier l’omniprésence de la couleur violette ou mauve, souvent associée à la magie. Cette métaphore de la magie n’est pas anodine. Elle positionne l’IA comme un outil à tout faire sans jamais dire ce qu’elle ne fait pas. Aboutissant à l’invisibilisation de sa matérialité et imposant l’idée qu’elle rend nécessairement les choses plus faciles.
Quand elle n’est pas magique, l’IA emprunte souvent des caractéristiques humaines (avec des prénoms ou des visages) et mobilise la métaphore de l’“assistant”. On peut y voir une manière de la présenter comme désirable et performante tout en se plaçant comme une aide utile aux personnes sans jamais se positionner comme un remplacement de l'humain.
Toutes ces méthodes ne sont pas nouvelles en soi si l’on regarde ce que font déjà les entreprises pour manipuler nos comportements ou capter l’attention par l’utilisation de nombreux dark ou deceptive patterns. Pourtant, alors que nous arrivons plutôt bien à identifier qu’un service nous force à accepter ses cookies ou à choisir son forfait premium, il nous semble que la manière dont les entreprises nous poussent à adopter des usages plus consommateurs de ressources passe aujourd’hui sous le radar. Sous prétexte de nouvelles fonctionnalités dites “innovantes”, ce que l’on pourrait appeler un usage forcé n’est aujourd’hui aucunement débattu. Pourrait-on s’inspirer de la manière dont la protection des données personnelles a été un véritable enjeu de régulation au niveau de l’Union Européenne ?
Actualités Limites Numériques
Le 8 avril, nous organisons une journée d’étude sur les représentations (non)écologiques du numérique à l’Université de Strasbourg. L’occasion de réfléchir ensemble sur la forme que prend le numérique dans nos mains. On en profitera aussi pour organiser une petite balade urbaine des infrastructures numériques.
Les candidatures en Master Design Environnements Numériques à l’Université de Strasbourg où une partie de notre équipe enseigne sont encore ouvertes. La formation est orientée vers la recherche et les pratiques du design en lien avec différents enjeux du numérique, dont bien sûr les enjeux environnementaux.
En vrac
L’Arcep et l’ADEME ont publié une mise à jour des données sur l’impact écologique du numérique en France, prenant en compte cette fois-ci l’impact des data centers localisés à l’étranger pour les usages basés ici. Quelques chiffres clés :
L’empreinte carbone du numérique est passée à 4,4% des émissions nationales (au lieu des 2,5%).
La répartition des émissions a aussi un peu changé :
🟩 = 4% lié au réseau🟦🟦🟦🟦🟦🟦🟦🟦🟦 = 46% lié aux data centers (contre 16% avant)
🟪🟪🟪🟪🟪🟪🟪🟪🟪🟪 = 50% lié aux terminaux
L’équivalent de la consommation électrique de l’Île-de-France est nécessaire aux usages numériques des français·es.
Par rapport aux études précédentes, on note une forte hausse de la part liée aux data centers. L’étude rappelle également qu’elle ne prend pas en compte la montée en puissance des IA génératives.
Une récente étude de l’association Green IT sur les impacts environnementaux du numérique dans le monde pointe, entre autre, que l’utilisation de ressources abiotiques (minerais / métaux) est l’indicateur concentrant le plus d’impacts. Suivi ensuite des gaz à effet de serre. L’étude nous rappelle elle aussi, que les téléviseurs sont la catégorie d’équipements générant le plus d’impacts.
On est tombé sur un conte d'Andersen pas très connu, datant de 1936, qui se nomme Le grand serpent de mer. L’histoire, basée sur un des premiers câbles transatlantiques télégraphiques, raconte comment les animaux de la mer perçoivent cet objet étrange. Andersen, fasciné par la technologie, traite le sujet avec légèreté et humour. Pour le lire c’est par ici.
L’occasion de vous glisser ce chouette article de Clément Marquet racontant la vie et surtout la mort des câbles sous-marins aux alentours de Marseille, parfois abandonnés et dont il faut prendre en charge le démantèlement.
Des vignettes des années qui passent à coller sur vos appareils pour clamer haut et fort leur durée de vie. Bon, certains des appareils de notre équipe sont même parfois trop vieux pour y coller l’année d’achat.
Un article [en] qui raconte comment le déploiement massif de data centers au Brésil met à mal son système électrique. Une pression supplémentaire pour un pays largement dépendant de l’énergie hydroélectrique et qui connait déjà de grosses fluctuations et pannes en période de sécheresse. Le tout, alors que 1,3 millions de brésilien·nes vivent encore avec peu ou pas d’électricité.
Récemment à Ethics By Design, l’amie Cécile Diguet nous racontait aussi les enjeux territoriaux en Ile-de-France, liés à l’implantation des data centers.Un reportage de Tracks sur Arte sur la création de jeux vidéo dans une logique de permacomputing (on parlera de ce terme prochainement) avec Vincent Moulinet et Chloé Desmoineaux. On y découvre plusieurs projets de jeux hyper légers ou fonctionnant sur des dispositifs obsolètes.
Faut-il alors réduire nos autres besoins au profit des l’IA comme le propose ironiquement ce groupe de recherche dans le site “Save the AI” ?
Sans limites
Le nouveau système de Péage en flux libre est mis en place sur certaines portions d’autoroutes. Le principe ? Pas de péage mais des caméras qui détectent et calculent ce que vous devez payer. Il suffit alors de se rendre sur le site web de paiement dans les 72h, sans quoi une indemnité par courrier est envoyée. L’objectif est de réduire le temps mais aussi la consommation de carburant liée aux arrêts péages. On s’interroge quand même : entre l’incitation à avoir un appareil et une connexion internet dans les 72h (y compris en vacances), ainsi que les nombreux – et évidents – oublis rappelés par courrier, est ce qu’il n’y avait pas de meilleures solutions ?
Vous ne l’attendiez pas, mais l’IA dans votre bière est quand même là :
Anecdotes
Anaëlle : “Je suis allée à un hôtel où il fallait utiliser un iPad pour allumer les leds des rideaux (🤷♀️), et même les fermer. Et en même temps à côté il y avait un bouton pour éteindre les lumières avec un stickers dessus “save the planet”
Eda : J’ai acheté mon ordi d'occasion en Allemagne, parce que c’était moins cher. Résultat, j’ai un clavier en QWERTZ (disposition germanophone). Mais la peinture commence à s'écailler et fait apparaître dessous un Azerty français ! Chose improbable mais qui tombe plutôt bien. Du coup je gratte les touches tout en aspirant les écailles en même temps, c'est très chiant, mais je suis heureuse :) Et j'apprends donc qu'en Allemagne on peint les ordis.…
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